« C’est à moi qu’appartient
la vengeance ». Tel est l’épigraphe du premier chef-d’œuvre symphonique de
Rachmaninov. Cette phrase assénée par Dieu dans l’Évangile résume assez bien l’atmosphère de la Première Symphonie en ré mineur. En effet, il s’agit d’une œuvre sombre
et dramatique influencée par Tchaïkovski. Tant et si bien qu’après sa création
en mars 1897, César Cui affirma que « s’il y avait un conservatoire aux Enfers,
et si l’on avait demandé à l’un de ses meilleurs élèves d’écrire une symphonie
à programme sur les Plaies d’Égypte, et si le résultat ressemblait à la Symphonie en ré mineur de M.
Rachmaninov, alors il se serait brillamment acquitté de sa tâche et aurait ravi
les habitants des Enfers ». Associé à l’accueil houleux du public, cet
avis blessa profondément le jeune compositeur. A tel point que Rachmaninov
sombra dans la dépression et n’écrivit plus rien pendant deux ans. Pourtant,
force est de reconnaître que César Cui n’avait pas tort : la Première
Symphonie est bien une œuvre qui évoque la colère divine (l’épigraphe suffit à le
prouver), tout comme les tableaux de John Martin. Peut-être avait-elle été mal comprise… Quoi qu’il en soit, elle offre
une illustration musicale saisissante de l'Apocalypse.
I) Grave - Allegro non troppo (00'00 - 14'27)
L’introduction de l’œuvre est courte mais présente deux motifs d’une importance capitale puisqu’ils irriguent toute la symphonie : le premier est une cellule sombre et farouche qui représente la menace (et utilisé comme tel dans le cinéma, notamment pour Troie) ; le second est le thème principal, dérivé du célèbre Dies irae (exposé à 1'00). Bithématisme oblige, une autre mélodie est exposée par les violons (à partir de 02'18). Nimbé d’une douce mélancolie, elle rappelle beaucoup L’Île des Morts. Repris à l’orchestre en un grand fortissimo, ce thème aboutit à un choc violent (à 05'43). Le développement commence enfin… Ce dernier offre une vision grandiose de la colère divine : le motif dérivé du Dies irae retentit sur un fond éblouissant de fanfares (entre 07'33 et 08'44). Seraient-ce les armées du Ciel qui descendent punir les Hommes ? Cette vision effroyable et sublime s’estompe… Toutefois, la coda consacre son triomphe.
La destruction de Sodome et Gomorrhe, de John Martin (1789-1854) |
II) Allegro animato (14'50 - 23'20)
Il s’agit d’un scherzo fantastique pouvant évoquer des fantômes. Il s’ouvre par la cellule-menace mais comprend également des souvenirs du Dies irae Le danger semble latent : frémissements de l’orchestre et coups de timbales sourds entretiennent une atmosphère crépusculaire. Quant au thème principal (exposé à 15'10), il est excessivement court et haletant. Le milieu du scherzo est marqué par un rappel des thèmes entendus dans le Grave initial. Puis les frémissements reprennent, dépeignant un paysage spectral.
III) Larghetto (23'49- 34'50)
Il s’agit du mouvement le moins réussi de l’œuvre… Toutefois, il apporte un moment de détente bienvenu avant le finale : les cordes tissent un fond sonore délicat (mais « glacial ») tandis que les clarinettes exposent une mélodie suave et veloutée (présentée à 24'17). Au milieu du mouvement, une version assagie de la cellule-menace se fait entendre : l’atmosphère s’obscurcit mais l’orage n’éclate pas et tout se termine dans le calme.
IV) Allegro con fuoco (35'17-47'37)
La cellule-menace entame le finale dans un grand emportement. Des sonneries de cuivres solennelles empruntent un rythme de chevauchée – celle des Cavaliers de l’Apocalypse – et soutiennent un thème enragé (dès 35'30). Une grande mélodie confiée aux violons stoppe ce passage mouvementé. Cependant, l’accalmie est de courte durée : l’orchestre s’exaspère, gronde, menace insidieusement (à partir de 38'16, avec un climax à 38'28).
Les Cavaliers de l'Apocalypse, d'Albrecht Dürer (1471-1528) |
De fait, la cellule-menace relance le mouvement (à 42'38) : la musique enfle, chaque mesure la rend plus colérique... Une dernière supplique des violons représente l’effroi des damnés (entre 44'29 et 44'40). Mais la colère divine est intraitable et les cuivres vitupèrent, avant qu’un grand coup de gong marque le passage à la coda. Dans celle-ci le motif de la menace se fait omniprésent. Répété inlassablement sur un rythme ralenti, il représente tout ce que la vengeance a d’excessif et d’obstiné. La symphonie se termine sur quelques accords plaqués par les cuivres, que renforcent le gong et les timbales. Le désastre est consommé, ne restent que les cendres.
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