En général, les symphonies de Mahler sont assez complexes, la Première ne faisant pas exception à la
règle. Elle fut écrite entre décembre 1887 et mars 1888. Quant à la création,
elle se tint le 20 novembre 1889 à Budapest. Celle-ci provoqua un scandale en
bonne et due forme, avec chahut et comptes rendus acerbes dans la presse. Il
est vrai que la symphonie avait de quoi dérouter. Présentée comme un poème
symphonique en deux parties et cinq mouvements, elle agglomérait diverses
sources d’inspiration plutôt disparates : Titan de Jean-Paul Richter, quelques gravures de Callot et les Chants d’un compagnon errant (Lieder eines fahrenden Gesellen).
Heureusement, Mahler « rectifia » le tir en supprimant tout
sous-titre descriptif et en ôtant l’intitulé de poème symphonique. Devenue
musique « pure », la symphonie fut également réduite aux quatre
mouvements traditionnels. Hélas, les critiques ne s’en trouvèrent pas amadoués...
Ce n’est donc qu’après la redécouverte du compositeur, dans les années 1970,
qu’on réalisa l’importance de cette Première
Symphonie ; de nos jours, c’est l’une des pièces les plus appréciées
de Mahler, unanimement reconnue comme un chef-d’œuvre orchestral.
La symphonie commence par une introduction immobile et mystérieuse,
notée « Langsam und schleppend ». On peut y entendre un sous-bois qui
s’éveille avec appels de coucous et sonneries lointaines. Au fur et à mesure
que le soleil se lève, le tempo s’anime et le thème principal apparaît aux
violoncelles, doux et caressant. Le développement renoue avec l’atmosphère
initiale, sombre et oppressante. Celle-ci est vite éclipsée par la coda et ses
fanfares en ré majeur : rutilant, l’orchestre brille de mille feux et
dissipe les ténèbres.
Le deuxième mouvement est un ländler, une danse populaire autrichienne
assez proche de la valse (les deux comportent trois temps bien marqués). Mahler
s’y est beaucoup inspiré d’Hans Rott, qu’il avait connu au Conservatoire de
Vienne : le thème est puissant, les percussions jouent un rôle primordial
et entraînent l’auditeur dans un tourbillon cosmique. Au centre du morceau se trouve
une valse lente avec des trompettes assez « vulgaires » : elle
joue le rôle de trio avant la reprise du ländler.
Gustav Mahler à l'époque de sa Première Symphonie |
Marqué « Feierlich und gemessen » (« Solennel et
mesuré » en bon français), le troisième mouvement se présente comme une
grande marche funèbre. Si c’est assez courant dans le répertoire symphonique
(pensez à la Troisième de Beethoven), elle a quand même une
particularité : son canon basé sur « Frère Jacques » !
Effet étrange (comment ne pas songer à un cortège d’enfants morts ?) et
d’autant plus dérangeant qu’il s’accompagne de thèmes grotesques, dignes d’une
kermesse ou d’une foire. Sauf que tout Mahler est là, dans cette alliance à la
fois moderne et inquiétante du sublime et du trivial, de l’ironie et du drame.
Le finale produit un énorme contraste avec le thrène précédent. En
effet, la musique se fait plus démonstrative, plus théâtrale. Elle commence en
fa mineur, sur une idée au climat assez proche du mouvement initial. Dès lors,
son but est de reconquérir le ré majeur, symbole de lumière, d’optimisme et
d’élévation spirituelle. Deux premières tentatives se détachent mais s’épuisent.
Une troisième est directement introduite par un puissant accord de ré majeur,
« comme s’il était tombé du ciel, comme s’il venait d’un autre monde »
disait Mahler. Cette fois ça y est, l’objectif tonal est atteint durablement !
L’ultime péroraison se fait donc en fanfares d‘une beauté solaire et enivrante,
procurant une fin majestueuse à cette Première
Symphonie.
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