La Première Symphonie de Martinů
fut commencée en mai 1942 et créée le 13 novembre suivant par l’Orchestre
Symphonique de Boston, que dirigeait Serge Koussevitzky. Celui-ci avait aidé le
musicien tchèque à s’installer aux États-Unis et porta son œuvre au triomphe.
Un succès éclatant et mérité puisqu’il s’agit de l’une des plus belles
créations du compositeur. En effet, cette Première
Symphonie se caractérise par sa grandeur épique et la qualité de son
inspiration. Comme les suivantes (1), elle renonce à l’unité tonale et emploie
la « tonalité évolutive » (2). Par ailleurs, elle comporte les quatre
mouvements traditionnels et adjoint un piano à l’orchestre.
I) Moderato (00'48 - 10'20) :
La symphonie commence par un Moderato, que précède une mystérieuse
introduction. Celle-ci amène le thème principal aux cordes (exposé à 01'15). On peut remarquer
que ce premier motif mélodique est dérivé du Dies irae, une façon de rappeler
que l’œuvre est dédiée à feu Madame Koussevitzky. Ce thème se déploie librement
et donne l’impression d’ondoyer à l’infini. De fait, nulle forme sonate ici
mais un développement libre, presque « biologique » car constitué de
multiples cellules rythmiques. Les cordes divisées ajoutent à cette impression
d’enchevêtrement sonore. De leurs côtés, les bois font entendre des mélodies
pastorales évoquant la somptueuse campagne de Bohême. À la fin de cette fresque
épique et parfaitement ciselée, ces thèmes rayonnants éclipsent le motif
macabre du début en un superbe si majeur (montée à partir de 07'54 et apothéose à 08'20). C’est alors que les mystérieux
accords de l’introduction reparaissent et concluent le mouvement dans le calme.
Le compositeur en 1943 |
II) Scherzo (10'39 - 18'16) :
Le passage qui suit est un vigoureux scherzo à 3/4, dans lequel le piano
joue un rôle rythmique important. En son centre, il comporte un solo de
hautbois aux allures de danse populaire (à partir de 11'35). Ce passage plus détendu introduit la
coda, particulièrement enivrante avec ses rythmes décalés. Martinů enchaîne
avec le Trio (il commence à 13'14). Il s’agit d’un Poco moderato pastoral, dans lequel les bois et le
piano ont la part belle. De fait, ce court passage ne fait pas intervenir les
cordes. Mais cette atmosphère rieuse et paisible ne dure pas longtemps puisque
le scherzo « beethovénien » est intégralement repris.
III) Largo (18'44 - 26'46) :
Ce mouvement lent à 3/2 constitue le sommet expressif de la symphonie.
Il s’agit d’un véritable thrène : les cordes énoncent un douloureux chant
funèbre, tandis que le piano rythme les lamentations. Nul doute que ce passage
crépusculaire constitue la première réaction de Martinů au massacre de Lidice,
un village tchèque anéanti par les Nazis le 10 juin 1942. Il se peut aussi que
le souvenir de Vitězslava Kaprálová (3) hante ces pages. Quoi qu’il en soit, le
mouvement poursuit sa marche inexorable et atteint un passage plus onirique,
sorte de triste réminiscence du temps jadis. C’est alors que le thème de
déploration refait surface aux cordes et que le chant funèbre reprend de plus
belle (à 23'18), marqué par des coups de timbale péremptoires. Le Largo s’achève en mi
mineur, dans une atmosphère proche de l’introduction du premier mouvement (on
retrouve les mêmes figures cadentielles du piano).
IV) Finale. Allegro non troppo (27'00 - 36'40) :
Des rythmes pointés introduisent le finale, de forme libre bien que
globalement inspirée du rondo. Le « refrain » est exposé par les bois
et le piano, que suivent les cordes. Arrive un thème extraordinaire, d’allure
presque jazzy (exposé à 27'40). D’ailleurs, ce mouvement tout entier fait preuve d’une invention
mélodique exceptionnelle, le « refrain » séparant des couplets d’un
naturel et d’une fantaisie remarquables. Ainsi, on peut entendre de multiples
allusions à la Bohême, parmi lesquelles des danses (par exemple à 31'47) ou des chants populaires. Vers 32'45, une quarantaine de mesures retrouvent l’atmosphère du
premier mouvement (mais sans le citer textuellement). Toutefois, cette accalmie
ne dure pas et la débauche orchestrale reprend de plus belle. La coda est
triomphante et fait éclater si bémol majeur - tonalité favorite du compositeur
- dans un véritable tourbillon sonore.
Notes :
(1) Martinů a composé cinq autres symphonies, constituant ainsi l'un des corpus les plus remarquables du XXème siècle.
(2) La tonalité évolutive est une démarche mise au point par Carl Nielsen et consistant à terminer une œuvre ou un mouvement - pour des raisons structurelles ou psychologiques - dans une tonalité autre que celle de son début (Dictionnaire de la musique symphonique paru chez Fayard sous la direction de François-René Tranchefort).
(3) Vitězslava Kaprálová était l'élève chérie du compositeur, morte en juillet 1940 à l'âge de vingt-cinq ans.
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