Joachim Raff eut l’idée de sa Cinquième Symphonie en
1870, alors que la guerre franco-prussienne faisait rage. Les sanglantes
batailles qui remplissaient les journaux de l’époque lui rappelèrent l’une des
plus célèbres ballades du monde germanophone : Lénore, écrite en 1773 par
Gottfried August Bürger. Ce poème raconte l’histoire d’amour entre le soldat
Wilhelm et sa fiancée Lénore. Tué à la guerre, le jeune homme ne tarde pas à retrouver
sa femme sous forme de fantôme pour l’entraîner dans la tombe.
Portrait de Joseph Joachim Raff (1822-1882) |
Afin d'illustrer ce récit fantastique, Raff choisit
d’utiliser un seul tempo. Malgré ses apparences de schéma traditionnel
vif-lent-vif-vif, la symphonie n’est donc qu’un immense allegro. Obtenu en
manipulant les indications métronomiques, cet effet maintient l’auditeur dans un
état de tension permanente. Bien adaptée au sujet pathétique de la ballade,
cette « astuce » contribua pour beaucoup au succès de la symphonie.
Créée en décembre 1872, celle-ci demeure l’œuvre la plus célèbre de Joachim
Raff.
ANALYSE SUCCINCTE :
I) Allegro :
Le premier mouvement représente le bonheur des deux
amoureux. Il commence dans une joyeuse effervescence et introduit plusieurs
éléments thématiques importants. Parmi ceux-ci, une sorte de fanfare
majestueuse et rayonnante se détache : il s’agit du leitmotiv associé au
jeune homme, viril et conquérant. Un thème plus sombre apparaît également ;
à n’en pas douter, il annonce le drame qui va suivre... Toutefois, les deux
protagonistes n’en sont pas encore là puisque le morceau s’achève en mi majeur,
dans la passion et la joie.
II) Andante quasi larghetto :
Ce pseudo mouvement lent est très mélodique : dès
son introduction, la flûte et le cor ont la part belle et chantent l’amour qui
unit Lénore et Wilhelm. Comme dans l’allegro qui précède, le mode majeur figure
l’épanouissement du couple. Toutefois, cette plénitude harmonique et affective
ne dure pas : la section centrale fait place à un douloureux sol dièse
mineur – à la tendresse succède l’inquiétude devant la guerre qui s’annonce. Le
morceau s’achève sur quelques tristes lamentations des bois, qui ont perdu toute
chaleur.
III) Marsch-Tempo :
Le scherzo de la symphonie est une marche militaire
particulièrement brillante ; fièrement sanglé dans son bel uniforme,
Wilhelm et ses camarades défilent avant de rejoindre les combats. Ici, Raff se
fait particulièrement habile en enrichissant peu à peu son orchestre : l’auditeur
a l’impression que la colonne de soldats s’approche doucement. D’abord confiées
aux seuls bois, les sections de fanfare sont donc répétées plusieurs fois et
aboutissent à un tutti exubérant et ivre de gloire. Le trio central en ut
mineur est plus inquiet – seraient-ce là les craintes des soldats ? – mais
le rythme de marche revient, grisant. Dominée par les fanfares précédentes, la
fin du morceau est à la fois majestueuse et arrogante. Pour symboliser le
départ des soldats, le compositeur réduit l’orchestration par degrés : à
la fin, on n’entend plus que deux clarinettes et une flûte. Ce morceau fut
tellement célèbre à son époque qu’il joue le rôle d’un personnage dans le roman
The First Violin de Jessie
Fothergrill (1877).
La ballade de Lénore, d'Horace Vernet |
IV Allegro. Introduktion und Ballade nach Bürgers "Lenore" :
Les trois mouvements qui précèdent servent
d’introduction à ce vaste finale. De forme très libre, il s’inscrit dans la
lignée des poèmes symphoniques de Franz Liszt (dont Raff fut le secrétaire) et
s’appuie vraiment sur le texte de Bürger.
Le mouvement commence par une brève mise en situation,
au cours de laquelle se détache la fanfare du scherzo. Ce thème illustre le
retour des soldats qu’attendait Lénore. Mais la jeune femme ne retrouve pas son
bien-aimé et la nuit tombe, ce que notifient quelques grondements presque
atonaux. L’orchestre énonce alors un sombre thème de choral, qui représente le
spectre de Wilhelm. Celui-ci vient chercher une Lénore folle de joie et
l’emporte sur son cheval. Il s’ensuit une chevauchée infernale : les
cordes galopent et martèlent le sol, les
flûtes figurent quelques hennissements. Le moment où Lénore s’aperçoit
que son amant est un squelette putride et grimaçant donne lieu à une brève
explosion orchestrale. Saisie d’effroi, la jeune femme meurt sur les voix
suraigües des cordes. Wilhelm l’emporte dans sa tombe ; l’œuvre s’achève
dans un climat apaisé et gothique.
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