Un compositeur infatigable mais embarrassant :
Écrasé par la notoriété de Gustav Mahler et de Richard Strauss, Paul
Graener est l’un de ces postromantiques peu connus voire totalement oubliés. En
cela, il rejoint quelques-uns de ses compatriotes allemands tels que Franz
Schmidt ou Hans Pfitzner. Tout comme eux, il mériterait d’être joué. Il fut
d’ailleurs célèbre à son époque, reconnu à la fois comme chef d’orchestre,
pédagogue et compositeur.
En tout cas, la liste de ses différents postes est longue et
prestigieuse : professeur à la Royal Academy of Music de Londres puis au
Conservatoire de Vienne, directeur du Mozarteum de Salzbourg et du
Conservatoire Stern de Berlin, vice-président de la Chambre de Musique du
IIIème Reich entre 1934 et 1941. Cette dernière fonction explique peut-être
l’oubli dans lequel Paul Graener est tombé, comme une sorte de vengeance
posthume. De fait, le compositeur était l’un des artistes les plus en vues de
l’Allemagne nazie : très appréciée par Goebbels, sa musique était souvent
jouée et récompensée. Il faut bien admettre que le musicien recherchait ces
honneurs (contrairement à son collègue Richard Strauss, qui fut président de la
même Reichsmusikkammer) puisqu’il était membre du NSDAP et se démarquait par
son patriotisme. Il semblerait même que sa mort en 1944 fut hâtée par les
défaites militaires du IIIème Reich, qui commençaient à s’accumuler
dangereusement. Bref, tout cela pour dire que la disgrâce de Paul Graener a
peut-être des raisons non musicales…
Sur ce dernier plan, le compositeur a laissé une œuvre abondante parmi laquelle
figurent des opéras, des ouvertures, des suites pour orchestre et des lieder
encore réputés. Toutefois, le « grand » chef-d’œuvre de Paul Graner
est sa Symphonie « Schmied
Schmerz ». Celle-ci mériterait largement les honneurs du
concert : à mon sens, il s’agit de l’une des meilleures symphonies
postromantiques de cette époque.
La Symphonie en ré mineur, « Schmied Schmerz » :
Le musicien la conçut en 1912, peu après la mort de son petit garçon. Il
s’agit donc d’une œuvre funèbre, écrite en ré mineur – tonalité du Requiem de Mozart. De fait, c’est bien
la douleur du deuil qui constitue le sujet de cette sombre symphonie. En effet,
elle tire son sous-titre d’un poème d’Otto Bierbaum qui commence ainsi : « Der Schmerz ist ein Schmied / Sein Hammer ist hart »
(littéralement : « La douleur est un forgeron / Son marteau est dur »). Pour
illustrer ces vers, Graener choisit une forme tripartite ainsi qu’un orchestre
pléthorique (bois par trois, six cors, trois trompettes et trois trombones,
tuba, percussions, harpes et cordes).
Pour découvrir Graener et sa Symphonie en ré mineur |
Le premier mouvement commence par un sombre Larghetto, tout en clair-obscur.
De fait, le ton est crépusculaire puisque les cordes, la clarinette et le
contrebasson accompagnent la cantilène du violon dans un registre grave. Cette
atmosphère élégiaque et recueillie cède la place à un brusque Allegro
appassionato, qui contraste fortement. Ce passage introduit déjà le thème du
finale, avec son déhanchement rythmique et ses coups de timbales. Ces
caractéristiques illustrent le mouvement d’un forgeron démoniaque et évoquent
le poème de Bierbaum. D’ailleurs, le climat général est tragique avec ses
thèmes douloureux et pesants, ses fortissimos inattendus et son orchestration
ténébreuse. Le drame s’accompagne de passages plus retenus, similaires à de la
musique de chambre. Mais c’est bien le thème du forgeron qui achève le mouvement
dans une ambiance apocalyptique.
L’Adagio qui suit apporte une détente indispensable. Cependant, ses
lentes mélodies aux bois (clarinettes en particulier) restent imprégnées de
tristesse. Un long crescendo aboutit d’ailleurs à une explosion de douleur,
comme une sorte de souvenir résigné.
Le finale s’ouvre péremptoirement par le « thème du forgeron »
en fanfares. C’est peut-être dans cette introduction terrible que Graener
exprima le mieux sa colère. Mais celle-ci laisse la place à la résignation, avant
que le « thème du forgeron » n’éclate fortissimo : la douleur ne
laisse aucun répit. Dès lors, ce motif ne sera jamais loin puisqu’il va dominer
l’ensemble du mouvement d’une façon plus ou moins insidieuse. On assiste même à
son triomphe et à sa transformation en dérivé du Dies irae ! Lautréamont dirait qu’il s’agit là des
rugissements d’un Dieu s’amusant à torturer les humains. La symphonie s’achève
avec majesté en reprenant son Larghetto initial : le drame est joué, le
chef-d’œuvre de Paul Graener est clos.
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