mardi 26 septembre 2017

Paul Graener : sa vie, son œuvre et sa disgrâce


Un compositeur infatigable mais embarrassant :

Écrasé par la notoriété de Gustav Mahler et de Richard Strauss, Paul Graener est l’un de ces postromantiques peu connus voire totalement oubliés. En cela, il rejoint quelques-uns de ses compatriotes allemands tels que Franz Schmidt ou Hans Pfitzner. Tout comme eux, il mériterait d’être joué. Il fut d’ailleurs célèbre à son époque, reconnu à la fois comme chef d’orchestre, pédagogue et compositeur.


En tout cas, la liste de ses différents postes est longue et prestigieuse : professeur à la Royal Academy of Music de Londres puis au Conservatoire de Vienne, directeur du Mozarteum de Salzbourg et du Conservatoire Stern de Berlin, vice-président de la Chambre de Musique du IIIème Reich entre 1934 et 1941. Cette dernière fonction explique peut-être l’oubli dans lequel Paul Graener est tombé, comme une sorte de vengeance posthume. De fait, le compositeur était l’un des artistes les plus en vues de l’Allemagne nazie : très appréciée par Goebbels, sa musique était souvent jouée et récompensée. Il faut bien admettre que le musicien recherchait ces honneurs (contrairement à son collègue Richard Strauss, qui fut président de la même Reichsmusikkammer) puisqu’il était membre du NSDAP et se démarquait par son patriotisme. Il semblerait même que sa mort en 1944 fut hâtée par les défaites militaires du IIIème Reich, qui commençaient à s’accumuler dangereusement. Bref, tout cela pour dire que la disgrâce de Paul Graener a peut-être des raisons non musicales…

Sur ce dernier plan, le compositeur a laissé une œuvre abondante parmi laquelle figurent des opéras, des ouvertures, des suites pour orchestre et des lieder encore réputés. Toutefois, le « grand » chef-d’œuvre de Paul Graner est sa Symphonie « Schmied Schmerz ». Celle-ci mériterait largement les honneurs du concert : à mon sens, il s’agit de l’une des meilleures symphonies postromantiques de cette époque.


La Symphonie en ré mineur, « Schmied Schmerz » :

Le musicien la conçut en 1912, peu après la mort de son petit garçon. Il s’agit donc d’une œuvre funèbre, écrite en ré mineur – tonalité du Requiem de Mozart. De fait, c’est bien la douleur du deuil qui constitue le sujet de cette sombre symphonie. En effet, elle tire son sous-titre d’un poème d’Otto Bierbaum qui commence ainsi : « Der Schmerz ist ein Schmied / Sein Hammer ist hart » (littéralement : « La douleur est un forgeron / Son marteau est dur »). Pour illustrer ces vers, Graener choisit une forme tripartite ainsi qu’un orchestre pléthorique (bois par trois, six cors, trois trompettes et trois trombones, tuba, percussions, harpes et cordes).

Disque CPO consacré à Paul Graener
Pour découvrir Graener et sa Symphonie en ré mineur

Le premier mouvement commence par un sombre Larghetto, tout en clair-obscur. De fait, le ton est crépusculaire puisque les cordes, la clarinette et le contrebasson accompagnent la cantilène du violon dans un registre grave. Cette atmosphère élégiaque et recueillie cède la place à un brusque Allegro appassionato, qui contraste fortement. Ce passage introduit déjà le thème du finale, avec son déhanchement rythmique et ses coups de timbales. Ces caractéristiques illustrent le mouvement d’un forgeron démoniaque et évoquent le poème de Bierbaum. D’ailleurs, le climat général est tragique avec ses thèmes douloureux et pesants, ses fortissimos inattendus et son orchestration ténébreuse. Le drame s’accompagne de passages plus retenus, similaires à de la musique de chambre. Mais c’est bien le thème du forgeron qui achève le mouvement dans une ambiance apocalyptique.

L’Adagio qui suit apporte une détente indispensable. Cependant, ses lentes mélodies aux bois (clarinettes en particulier) restent imprégnées de tristesse. Un long crescendo aboutit d’ailleurs à une explosion de douleur, comme une sorte de souvenir résigné.

Le finale s’ouvre péremptoirement par le « thème du forgeron » en fanfares. C’est peut-être dans cette introduction terrible que Graener exprima le mieux sa colère. Mais celle-ci laisse la place à la résignation, avant que le « thème du forgeron » n’éclate fortissimo : la douleur ne laisse aucun répit. Dès lors, ce motif ne sera jamais loin puisqu’il va dominer l’ensemble du mouvement d’une façon plus ou moins insidieuse. On assiste même à son triomphe et à sa transformation en dérivé du Dies irae ! Lautréamont dirait qu’il s’agit là des rugissements d’un Dieu s’amusant à torturer les humains. La symphonie s’achève avec majesté en reprenant son Larghetto initial : le drame est joué, le chef-d’œuvre de Paul Graener est clos.

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