Né en 1874, Glière a traversé près de 80 ans d’histoire russe, du tsarisme à la mort de Staline. Cette longévité lui a permis de côtoyer les meilleurs musiciens de son époque, et en particulier ses plus illustres élèves : Miaskovsky et Prokofiev. Si son influence est évidente chez le premier, elle ne l’est pas du tout chez le second. En effet, alors que la musique de Prokofiev est bien ancrée dans le monde moderne, celle de son maître regarde vers le postromantisme et ne contient rien de la révolution musicale à l’œuvre.
Rheinhold Glière (1874-1956) dirigeant une répétition à la fin de sa vie |
Rien de plus normal à cela. En effet, Glière a écrit la plupart de ses œuvres au tout début du vingtième siècle, à une époque où le romantisme jette ses derniers feux (et quels feux : Rachmaninov, Strauss, Rimski-Korsakov, pour ne citer que ces personnages). Ainsi, sa Première Symphonie date de 1900, la Seconde de 1907 et la Troisième de 1911.
C’est l’époque où la Russie s’affirme comme une grande
puissance économique et militaire. Centré sur le Tsar, le nationalisme est en
vogue : il s’agit pour les arts de retrouver des racines slaves. Peu d’œuvres
incarnent autant cet élan que la Troisième Symphonie de Glière. Sous-titrée Ilya Mouromets, elle s’inspire d’un héros
russe qui aurait été pétrifié par des anges, à la fin d’une bataille héroïque.
La symphonie est aux dimensions du sujet : orchestre très large et mouvements
amples, d’une longueur de quatre-vingt minutes (c’est l’une des plus longues
symphonies du répertoire). Je ne vais pas me livrer ici à une analyse
détaillée, mais je tiens à dire que cette œuvre est une réussite totale. Les
thèmes sont majestueux et puissants, avec une orchestration riche et colorée, incandescente.
Une œuvre très russe, dont l’atmosphère fait rêver et évoque bien quelque
légende slave.
Évidemment, en 1917, tout change : c’est la
Révolution. Le Tsar est destitué et une bonne partie de l’intelligentsia fuit
la Russie. Glière décide de rester. Sa notoriété le protège, et il poursuit ses
activités de professeur. Toutefois, il compose moins. Des concertos (celui pour
harpe et très joli) et des œuvres de circonstance. Rien de notable, à l’exception
d’un ballet.
Intitulé Le Pavot rouge, il narre une histoire d’amour
entre un capitaine russe et une danseuse chinoise. Pour ce scénario à mi-chemin
entre Carmen et Madame Butterfly, Glière a composé une musique tout à fait
séduisante, dans la lignée de Tchaïkovski. Monté pour la première fois en 1927,
ce ballet a connu un immense succès en URSS. Après cette date, Glière s’est
retrouvé comme Richard Strauss sous le Troisième Reich : voix sacralisée
mais impuissante d’un État totalitaire, avec la musique pour seule consolation.
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