mercredi 31 octobre 2018

Rheinhold Glière, à travers les révolutions


Né en 1874, Glière a traversé près de 80 ans d’histoire russe, du tsarisme à la mort de Staline. Cette longévité lui a permis de côtoyer les meilleurs musiciens de son époque, et en particulier ses plus illustres élèves : Miaskovsky et Prokofiev. Si son influence est évidente chez le premier, elle ne l’est pas du tout chez le second. En effet, alors que la musique de Prokofiev est bien ancrée dans le monde moderne, celle de son maître regarde vers le postromantisme et ne contient rien de la révolution musicale à l’œuvre. 

Rheinhold Glière (1874-1956) dirigeant une répétition à la fin de sa vie

Rien de plus normal à cela. En effet, Glière a écrit la plupart de ses œuvres au tout début du vingtième siècle, à une époque où le romantisme jette ses derniers feux (et quels feux : Rachmaninov, Strauss, Rimski-Korsakov, pour ne citer que ces personnages). Ainsi, sa Première Symphonie date de 1900, la Seconde de 1907 et la Troisième de 1911.

C’est l’époque où la Russie s’affirme comme une grande puissance économique et militaire. Centré sur le Tsar, le nationalisme est en vogue : il s’agit pour les arts de retrouver des racines slaves. Peu d’œuvres incarnent autant cet élan que la Troisième Symphonie de Glière. Sous-titrée Ilya Mouromets, elle s’inspire d’un héros russe qui aurait été pétrifié par des anges, à la fin d’une bataille héroïque. La symphonie est aux dimensions du sujet : orchestre très large et mouvements amples, d’une longueur de quatre-vingt minutes (c’est l’une des plus longues symphonies du répertoire). Je ne vais pas me livrer ici à une analyse détaillée, mais je tiens à dire que cette œuvre est une réussite totale. Les thèmes sont majestueux et puissants, avec une orchestration riche et colorée, incandescente. Une œuvre très russe, dont l’atmosphère fait rêver et évoque bien quelque légende slave.

Évidemment, en 1917, tout change : c’est la Révolution. Le Tsar est destitué et une bonne partie de l’intelligentsia fuit la Russie. Glière décide de rester. Sa notoriété le protège, et il poursuit ses activités de professeur. Toutefois, il compose moins. Des concertos (celui pour harpe et très joli) et des œuvres de circonstance. Rien de notable, à l’exception d’un ballet.

Intitulé Le Pavot rouge, il narre une histoire d’amour entre un capitaine russe et une danseuse chinoise. Pour ce scénario à mi-chemin entre Carmen et Madame Butterfly, Glière a composé une musique tout à fait séduisante, dans la lignée de Tchaïkovski. Monté pour la première fois en 1927, ce ballet a connu un immense succès en URSS. Après cette date, Glière s’est retrouvé comme Richard Strauss sous le Troisième Reich : voix sacralisée mais impuissante d’un État totalitaire, avec la musique pour seule consolation.

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