lundi 19 juin 2017

Rued Langgaard : un Danois prophète de l'Apocalypse !


Rued Langgaard (1893-1952) fait figure d’anomalie dans le paysage musical. Enfant prodige que surprotégeaient ses parents, il composa ses premières pièces vers dix ans, juste avant d’entamer une Première Symphonie qu’il acheva peu après son dix-septième anniversaire. Ce premier chef-d’œuvre en dit long sur le génie singulier et précoce de Langgaard : de dimensions épiques (plus d’une heure), il requiert des dizaines de musiciens et s’inspire des modèles postromantiques fournis par Wagner, Bruckner et Mahler. Son sous-titre, noté « Klippepastoraler » (« Pastorale des rochers » en danois), demeure mystérieux pour un adolescent de dix-sept ans. En fait, Langgaard conserva toujours ce goût de jeunesse pour les sous-titres énigmatiques voire franchement symbolistes (sa dernière symphonie s’appelle ainsi « Déluge de soleil »). Tourmenté et hypersensible, le compositeur voyait la musique comme un « moyen d’accéder à un royaume dissimulé sous le voile des apparences » (Esben Tange).

Rued Langgaard enfant, déjà virtuose de l'orgue
Le jeune Rued Langgaard à l'orgue, dont il était un virtuose

Il développa cette vision dans son incroyable Harmonie des sphères pour orchestre, soprano, chœur orgue et piano. Composée entre 1916 et 1918, cette œuvre figure parmi les plus avant-gardistes de l’époque et anticipe la musique de Ligeti, qui affirma être un épigone de Langgaard ». Ce langage musical ultramoderne imprègne également les premiers quatuors du jeune Rued. Par exemple, le deuxième mouvement du Second Quatuor à cordes imite le passage à vive allure d’une locomotive à vapeur, six ans avant le Pacific 231 d’Arthur Honegger. 

Malheureusement, le génie de Langgaard demeura largement incompris et sa musique n’obtint pas un grand succès au Danemark. Associés à un tempérament taciturne et colérique, ces revers jetèrent le compositeur dans la misanthropie la plus noire. Son unique opéra, l’Antéchrist, « traite [ainsi] du déclin et de la ruine de la civilisation européenne : plus généralement, il représente une critique de la mentalité et du style de vie moderne ; c’est une prophétie de l’anéantissement » (Bendt Viinholt Nielsen). Dans le même style apocalyptique, La Fin des temps pour chœur et orchestre ainsi que la Musique des abysses annoncent également une destruction purificatrice de l'Univers.

Rued Langgaard en 1952, quelques mois avant sa mort
Rued Langgaard en 1952, quelques mois avant sa mort

Après la création ratée de ces œuvres grandioses, Langgaard se referma sur lui-même et revint à un langage excessivement rétrograde et romantique, rempli d’anachronismes. Il obtint ainsi un poste d’organiste à la cathédrale de Ribe, où il se forgea la réputation d’un homme étrange et irascible. C’est dans cette retraite qu’il créa ses dernières œuvres et mourut à cinquante-huit ans, dans l’anonymat et la solitude. Quoi qu’il en soit, espérons que notre époque saura réparer l’injustice dont fut victime l’idéalisme visionnaire de Langgaard !

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