Au même titre que Stravinsky ou Prokofiev, Leoš Janáček (1854-1928) fait
partie de ceux qui ont inventé la musique moderne et enterré le romantisme.
Mais à l’inverse de ses jeunes collègues, il a attendu plusieurs dizaines
d’années avant de révolutionner la musique. En effet, Janáček ne s’est « réveillé »
qu’à 65 ans et ses plus grands chefs-d’œuvre furent écrits alors qu’il était un
vieillard. Toutefois, ce parcours singulier s’explique aisément puisqu’à
l’exception de rares voyages à Vienne ou à Prague, le compositeur demeura isolé
dans sa Moravie natale. Il était donc à l’abri de tous les courants
« modernistes » et composait des œuvres très académiques.
Mais après quarante ans d’une vie paisible et anonyme, Janáček fut bouleversé par la mort soudaine de sa fille Olga. Ce traumatisme affectif le libéra du joug des traditions musicales dans lesquelles il était empêtré. Tant et si bien qu’après dix ans de recherches, son style était fixé. Ce revirement complet aboutit à une musique étrange car remplie de rythmes heurtés et de mélodies fragmentaires. Par ailleurs, l’orchestration du Janáček de la maturité est reconnaissable entre mille : virile et cuivrée mais jamais lourde, elle fait la part belle aux sonorités acides des bois.
Janáček devint subitement célèbre en 1916 grâce à son opéra Jenůfa. Cette reconnaissance tardive et inattendue
(n’était-il pas un obscur notable de province ?) s’accrut encore lorsque
la Tchécoslovaquie devint indépendante... Devenu « compositeur
national », Janáček enchaîna les chefs-d’œuvre : Taras Boulba en 1918, la Ballade de
Blaník en 1920, la Petite renarde
rusée en 1923, la Sinfonietta et
la Messe glagolitique en 1926. Dans
ces deux compositions, le génie si particulier de Janáček est éclatant. En
effet, elles sont garnies de fanfares enivrantes, de rythmes irréguliers et de
thèmes à la fois solennels et joyeux. En tout cas, ce sont des œuvres d’une
vitalité extraordinaire… À tel point qu’on ne peut croire à l’âge avancé de
leur créateur ! Mais il faut quand même dire qu’à 75 ans passés, Janáček
tombait encore amoureux d’une jeune femme de 40 ans sa
cadette ! Blessé par l'indifférence de celle-ci, le compositeur confia son
chagrin dans un Second quatuor à cordes,
sous-titré « Lettres intimes ». Une belle preuve de jeunesse !
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