mardi 12 février 2019

La Russie païenne selon Sergueï Prokofiev


Suite à sa rencontre avec Diaghilev, au cours de l’année 1914, Prokofiev décida d’écrire une œuvre pour les ballets russes. Ce fut Ala et Lolly, inspiré de l’antiquité païenne, comme l’est le fameux Sacre du Printemps, imaginé par Stravinski et créé en 1913 à Paris. Le ballet met en scène la déesse de la fécondité Ala, menacée par le dieu noir Tchoubog et sauvée par un vaillant guerrier du nom de Lolly. Toutefois, Diaghilev refusa la partition de Prokofiev, trouvant le sujet inepte. Pour sa peine, il lui commanda un autre ballet (ce fut Chout).

Comme Prokofiev n’était pas homme à abdiquer, il décida de sauver sa partition en la transformant en suite symphonique. C’est ainsi qu’est née la Suite scythe, qui comporte quatre numéros du ballet original et demeure l’une des œuvres les plus populaires de Prokofiev. Sa carrière était pourtant mal partie, puisqu’elle fut à l’origine d’un immense scandale lors de sa création le 29 janvier 1916 à Petrograd. En effet, les critiques russes rejetèrent en masse son orchestration massive et son esthétique primitiviste et bruyante, faite de paganisme et de barbaries.

Tableau de Nicolas Roerich

Le premier mouvement s’intitule Adoration de Veles et Ala. Il comporte deux parties distinctes : une première très dissonante, qui s’ouvre par de véritables hurlements orchestraux, marquée par les cuivres et les percussions, et une seconde bien plus calme et subtile, dominée par le chant de la flûte, qu’accompagne le velours des altos. L’entrée progressive des autres cordes et du célesta contribue à créer une atmosphère de mystère, tout comme les scintillements des harpes et du piano.

La danse de Tchoubog et des esprits noirs est bien différente. La musique piétine, pleine de lourdeur et de colère. De grandes exclamations de cuivre retentissent par-dessus les timbales et annoncent l’arrivée des démons, dont le vol erratique est représenté par un allégement de l’orchestre et les glissandos au xylophone. Un grand crescendo conclut cette danse des ténèbres.

Le morceau qui suit est un nocturne à l’esprit presque debussyste. Dans le registre aigu, des notes, des mélopées infinies, s’égrènent dans la lueur sélène, qu’incarne le célesta grâce à ses sonorités cristallines. Par bouffées, les cuivres s’immiscent dans le décor et menacent l’auditeur, jusqu’à ce que le morceau s’achève comme il avait commencé.

Le Cortège du soleil sert de finale à la suite. Il commence par un grondement continu des cordes, qui peu à peu s’efface et laisse apparaître un thème anguleux et déhanché à la clarinette. Ce thème permet à l’orchestre d’accumuler l’énergie nécessaire à l’illumination finale. Celle-ci se fait sur une cellule en ostinato et représente le lever du soleil, dans une joie franche et crue, païenne, portée par une orchestration incandescente.

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