Parmi toutes les œuvres célèbres de Frédéric Chopin, il en est une qui
d’après moi se détache : la Sonate
pour piano N°2 en si bémol mineur. Avec elle, le compositeur
franco-polonais quitte la miniature de salon pour atteindre un véritable
souffle tragique, une sorte de sombre grandeur. De fait, la sonate est dotée
d’une construction ample et audacieuse hantée par l’idée de la Mort. D’ailleurs,
Chopin la conçut autour de sa célébrissime marche funèbre de 1837, alors qu’il
était atteint de visions macabres (si l’on en croit George Sand en tout cas).
L’ensemble de l’œuvre s’en ressent et constitue un kaléidoscope dérangeant, où
la Mort n’a jamais deux fois le même visage.
Le dernier portrait de Chopin (1810-1839), rongé par la tuberculose |
L’œuvre commence dans un climat menaçant, par un Grave crépusculaire. L’Agitato
qui suit est construit sur deux thèmes on ne peut plus contrastés : tandis
que le premier est nerveux, comme halluciné, le second se montre bien plus
lyrique. Assez court, le développement prend la forme d’une « chevauchée
sinistre » (Cortot). Toutefois, ce n’est pas le motif initial qui
l’emporte, abattu par les élans passionnés de son opposant. D’ailleurs, les
ricanements du premier thème ne sont même pas répétés dans la réexposition –
procédé assez novateur, cette omission étant contraire à la forme sonate
traditionnelle.
Le deuxième mouvement est un scherzo, où plutôt devrais-je dire une
danse macabre. Celle-ci tourbillonne autour d’une mélodie enfiévrée, avant de
laisser apparaître un moment de grâce, mélancolique et rêveur. Mais la danse
reprend de plus belle, avec ses squelettes grimaçants.
Arrive l’un des tubes de la musique savante occidentale : la
fameuse Marche funèbre de Chopin.
Celle-ci mérite bien ce titre puisqu’elle fut jouée lors des funérailles du
compositeur, le 30 octobre 1849. Toutefois, bien plus que le cortège de proches
autour du cercueil, cette marche inexorable évoque une procession de
morts-vivants (l’image appartient à Roland Candé). Il n’est qu’à bien écouter
cette musique diaphane, pâle et sans énergie, pour s’en apercevoir.
Le Presto final passe tel un coup de vent sur la tombe, sous un
saisissant déluge de croches. « C’est davantage du sarcasme que de la
musique » déclara Schumann. Mais que dire de plus après la Marche précédente ? Il n’y a qu’une
chose à faire : céder la place au néant, après une ultime bourrasque.
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