L’Autrichien Anton Bruckner (1824-1896) a généralement mauvaise presse
chez les mélomanes, qui le voient un peu comme « un idiot de génie ».
Il faut dire que ses manières de paysan tyrolien ont laissé le souvenir d’un
homme naïf et rustre, pétri de religion. Car Bruckner était croyant. Très
croyant même : ses neuf symphonies sont autant de cathédrales sonores
élevées à la plus grande gloire de Dieu. Le Seigneur est d’ailleurs le
dédicataire de l’ultime œuvre du maître autrichien…
Mais passons. Je disais donc que Bruckner a mauvaise réputation. En
effet, ses énormes symphonies rebutent de nombreux auditeurs, qui les trouvent
trop longues et trop austères. On touche là l’une des caractéristiques majeures
de la manière brucknérienne : la dilatation du temps. Chez Bruckner, les
développements sont longs et comprennent trois thèmes. Ainsi, les mouvements
lents de ses dernières symphonies durent bien plus de 20 minutes ! Mais
c’est cette maîtrise du temps musical qui permet à Bruckner d’atteindre le
sublime. Prenez le mouvement lent de sa Symphonie N°7: chaque note y est
nécessaire et contribue à l’inexorable montée vers le climax, sommet de cet
immense Adagio. Une fois que je
l’écoutais en concert, je me suis surpris à pleurer. C’est une musique
saisissante, et l’on ne peut imaginer plus grandiose marche funèbre (Bruckner
la composa sous le coup du décès de Wagner, ce qui explique son caractère
sombre et douloureux). Elle fut d’ailleurs diffusée sur les ondes allemandes en
1945, peu après l’annonce de la capitulation.
Ce que l’on reproche aussi à Bruckner, c’est sa manière d’orchestrer,
« lourde et sans aucune finesse » pour ses détracteurs. En fait,
Bruckner voyait l’orchestre comme un orgue et l’utilisait comme tel,
c’est-à-dire par blocs. Dans ses symphonies, les groupes instrumentaux
s’affrontent sans jamais fusionner, d’où un effet de « masse » qui
peut en dégoûter certains. Mais si l’orchestre brucknérien n’est pas charmeur,
il est puissant et personnel. Et n’est-ce pas tout ce qui compte lorsque l’on
dédie sa musique « au bon Dieu » ?
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