mercredi 1 novembre 2017

La Cinquième de Joachim Raff : une symphonie gothique !


Joachim Raff eut l’idée de sa Cinquième Symphonie en 1870, alors que la guerre franco-prussienne faisait rage. Les sanglantes batailles qui remplissaient les journaux de l’époque lui rappelèrent l’une des plus célèbres ballades du monde germanophone : Lénore, écrite en 1773 par Gottfried August Bürger. Ce poème raconte l’histoire d’amour entre le soldat Wilhelm et sa fiancée Lénore. Tué à la guerre, le jeune homme ne tarde pas à retrouver sa femme sous forme de fantôme pour l’entraîner dans la tombe.

Portrait photographique de Joseph Joachim Raff (1822-1882)
Portrait de Joseph Joachim Raff (1822-1882)

Afin d'illustrer ce récit fantastique, Raff choisit d’utiliser un seul tempo. Malgré ses apparences de schéma traditionnel vif-lent-vif-vif, la symphonie n’est donc qu’un immense allegro. Obtenu en manipulant les indications métronomiques, cet effet maintient l’auditeur dans un état de tension permanente. Bien adaptée au sujet pathétique de la ballade, cette « astuce » contribua pour beaucoup au succès de la symphonie. Créée en décembre 1872, celle-ci demeure l’œuvre la plus célèbre de Joachim Raff.


ANALYSE SUCCINCTE :

I) Allegro :

Le premier mouvement représente le bonheur des deux amoureux. Il commence dans une joyeuse effervescence et introduit plusieurs éléments thématiques importants. Parmi ceux-ci, une sorte de fanfare majestueuse et rayonnante se détache : il s’agit du leitmotiv associé au jeune homme, viril et conquérant. Un thème plus sombre apparaît également ; à n’en pas douter, il annonce le drame qui va suivre... Toutefois, les deux protagonistes n’en sont pas encore là puisque le morceau s’achève en mi majeur, dans la passion et la joie.

II) Andante quasi larghetto : 

Ce pseudo mouvement lent est très mélodique : dès son introduction, la flûte et le cor ont la part belle et chantent l’amour qui unit Lénore et Wilhelm. Comme dans l’allegro qui précède, le mode majeur figure l’épanouissement du couple. Toutefois, cette plénitude harmonique et affective ne dure pas : la section centrale fait place à un douloureux sol dièse mineur – à la tendresse succède l’inquiétude devant la guerre qui s’annonce. Le morceau s’achève sur quelques tristes lamentations des bois, qui ont perdu toute chaleur.

III) Marsch-Tempo :

Le scherzo de la symphonie est une marche militaire particulièrement brillante ; fièrement sanglé dans son bel uniforme, Wilhelm et ses camarades défilent avant de rejoindre les combats. Ici, Raff se fait particulièrement habile en enrichissant peu à peu son orchestre : l’auditeur a l’impression que la colonne de soldats s’approche doucement. D’abord confiées aux seuls bois, les sections de fanfare sont donc répétées plusieurs fois et aboutissent à un tutti exubérant et ivre de gloire. Le trio central en ut mineur est plus inquiet – seraient-ce là les craintes des soldats ? – mais le rythme de marche revient, grisant. Dominée par les fanfares précédentes, la fin du morceau est à la fois majestueuse et arrogante. Pour symboliser le départ des soldats, le compositeur réduit l’orchestration par degrés : à la fin, on n’entend plus que deux clarinettes et une flûte. Ce morceau fut tellement célèbre à son époque qu’il joue le rôle d’un personnage dans le roman The First Violin de Jessie Fothergrill (1877).

La ballade de Lénore, d'Horace Vernet
La ballade de Lénore, d'Horace Vernet

IV Allegro. Introduktion und Ballade nach Bürgers "Lenore" :

Les trois mouvements qui précèdent servent d’introduction à ce vaste finale. De forme très libre, il s’inscrit dans la lignée des poèmes symphoniques de Franz Liszt (dont Raff fut le secrétaire) et s’appuie vraiment sur le texte de Bürger.

Le mouvement commence par une brève mise en situation, au cours de laquelle se détache la fanfare du scherzo. Ce thème illustre le retour des soldats qu’attendait Lénore. Mais la jeune femme ne retrouve pas son bien-aimé et la nuit tombe, ce que notifient quelques grondements presque atonaux. L’orchestre énonce alors un sombre thème de choral, qui représente le spectre de Wilhelm. Celui-ci vient chercher une Lénore folle de joie et l’emporte sur son cheval. Il s’ensuit une chevauchée infernale : les cordes galopent et martèlent le sol, les  flûtes figurent quelques hennissements. Le moment où Lénore s’aperçoit que son amant est un squelette putride et grimaçant donne lieu à une brève explosion orchestrale. Saisie d’effroi, la jeune femme meurt sur les voix suraigües des cordes. Wilhelm l’emporte dans sa tombe ; l’œuvre s’achève dans un climat apaisé et gothique.

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